Il y a l’histoire, terrible, de la révolution avec ses grands héros, ces icônes inoubliables et ses petites lâchetés enterrées dans nos cœurs; ses feux et ses souffrances, ses espoirs et ses
peurs.
Et puis il y a Ajala welt Ali.
On ne parle pas de Ajala. Personne ne connait Ajala. Et pourtant…
Elle était belle Ajala. La jolie jeune fille de l’Aures, elle ne parlait que thetchawith de ses ancêtres.
En automne, elle chantait les anciens chants d’amour en ramassant les thigourslan qu’on dégustait grillés ou en soupe et les châtaignes qu’on faisait éclater dans le feu pour les manger en
écoutant les contes des veillées en hiver.
Au printemps elle aimait danser dans les champs rouges de coquelicots et chantait toujours sur le chemin lorsque les femmes sortaient cueillir thelma et les plantes fraîches pour les tisanes.
Elle portait sur son visage, ces tatouages qui remontent à la nuit des temps, des losanges et des croix et des lignes étranges. Magie de la vie. Les filles étaient tellement excitées quand le tatoueur venait et choisissaient leurs tatouages d’antan avec la même attention, la même joie que les filles de maintenant choisissent leurs fleurs ou leurs papillons.
Belle elle était belle comme la vie. Elle avait les cheveux roux Ajala. Roux comme la lune d’août. Roux comme les longs cheveux de mais lorsqu’on les sort de leurs étuis soyeux.
Ajala, la pauvre petite fille du cœur du pays d’ichawiyen a eu une vie dure. Une vie misère et de lutte contre les éléments contre la misère. Elle a lutté contre le vent glacé du Chelia qui
balaie la plaine jusqu’à Zoui. La neige a souvent brûlé ses pieds nus sous le henné qui couvre les craquelures. Elle a tiré tant et tant d’outres d’eau du puits des Ah Khalfoun, et versé cette
eau avec ses bras maigres dans les abreuvoirs de pierre qui servent depuis le temps des romains.
Elle a tant souffert Ajala et elle n’a pas eu le temps de donner la vie. La sienne lui fut prise.
Elle a été égorgée sous le pont du chott de asbikhetht, par un soldat, peut être un héros de la révolution, un sombre soir du mois de juin entre Tazougart et Zoui.
Je pourrais essayer de comprendre qu’ils trahissent Ben Boulaid, qu’ils tuent Laghrour Abbes, qu’ils assassinent Abane. C’étaient des combattants. Ils avaient eux-mêmes tué.
Mais Ajala?
Qu’a-t-elle pu faire? A-t-elle fumé? A-t-elle chiqué? A-t-elle retourné un regard à un beau soldat français?
A-t-elle dit quelque chose? Ou fait quelque chose? Elle ne possédait pas de secrets qu’elle aurait pu trahir.
Elle a plus probablement refusé son beau corps au « qaïd ennahia »…Qui voulait en faire son repos du guerrier.
Non, je ne comprendrai jamais pourquoi un responsable de l’ALN Ou du FLN ou je ne sais quoi a trouvé juste de voler la vie de cette fille. De la traîner vers le pont du chott et l’égorger.
Il me semble entendre son cri se fondre dans le gargouillement du sang dans sa gorge.
Il y en a eu des Ajala. Mais on ne leur a jamais élevé une statue, ni une plaque de rue. J’aimerais pouvoir officiellement baptiser ce pont. Mettre une plaque bleue avec le beau nom de Ajala dessus.
Je dis officiellement, parce que ce pont, toutes les familles de là-bas depuis les terres de Hbetti, jusqu’à la ferme de Mohand Aferdhas, depuis la maison noire de Aldjia, jusqu’aux vergers d’Ah kiadh, tout le monde l’appelle « le pont de Ajala
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